ça se passe en centre-ville
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Rencontre avec Jean-Marc NATALI, Président fondateur du bureau d’étude URBANIS
(interview réalisée le 18 mars 2015)
Nous vous proposons, cette semaine, une discussion avec un expert parmi les plus réputés en France sur les questions d’Habitat en centre ancien. En effet, le sujet du logement représente l’un des enjeux essentiels pour la reconquête de nos cœurs de ville. Après notre rencontre lors des Assises Nationales du Centre-Ville à Nîmes, Jean-Marc NATALI a accepté de s’associer à l’Observatoire de l’Environnement et de la Vie Urbaine créé par « Centre-Ville en Mouvement » et présidé par le Maire de Cran Gevrier, Jean BOUTRY.
Patrick NICOLAS : Bonjour Jean-Marc NATALI et merci d’avoir répondu positivement à notre invitation. Que représente la question de l’habitat dans votre parcours, et plus généralement, pour les centres-villes ?
La qualité et la disponibilité des logements constituent le paramètre fondamental pour le développement d’une vie urbaine riche et équilibrée
Jean-Marc NATALI : Bonjour Patrick. La qualité et la disponibilité des logements constituent le paramètre fondamental pour le développement d’une vie urbaine riche et équilibrée. Les centres villes ont souvent souffert – et souffrent encore – d’une dégradation de la qualité des logements et d’une inadéquation des formes d’habitat aux attentes des populations. Cette situation entraîne une paupérisation des centres-villes qui pèse directement sur l’activité commerciale, et plus généralement, sur la qualité de la vie urbaine. J’ai pour habitude de dire que le logement c’est comme la santé, il faut éviter les séjours hospitaliers en services de soins intensifs ! Notre lieu de vie a une influence directe sur notre santé mentale et psychique, sur notre bien-être, notre habitat conditionne également en grande partie notre vie sociale et professionnelle. Toutes ces raisons expliquent ma passion pour un habitat digne et durable et mon souhait de créer, il y a plus de 30 ans, le cabinet URBANIS qui est leader sur son marché et qui compte 220 collaborateurs en France et à l’étranger.
PN : Qu’est-ce qui vous a séduit dans la réflexion que porte « Centre-Ville en Mouvement »
JMN : Votre association défend une vision enthousiaste du centre-ville porteur d’une urbanité typique des villes européennes. Contrairement au modèle américain ou chinois, nos centres-villes concentrent en un même lieu différentes fonctions. Ils sont un lieu d’échange et de brassage social indispensable qui participe à l’unité de notre pays. Dans ces centres-villes, le commerce est comme un symbole, une incarnation de cette mixité, mais il y a d’autres éléments tels que l’habitat, la culture, les services qui participent à cet équilibre.
PN : Quelle était la situation des centres-villes dans les années 80 ?
JMN : Il faut remonter aux années 60 pour comprendre la situation des centres-villes français à cette époque. L’explosion démographique liée au baby boom et l’accès à l’automobile ont généré une très forte demande en logement qui s’est traduite par la construction des grands ensembles et ensuite par un phénomène d’étalement urbain toujours à l’œuvre, surtout dans les Villes petites et moyennes. D’un autre côté, les centres-villes, sauf dans quelques grandes villes, ont perdu leurs occupants aisés. Ils se sont progressivement dégradés au point de connaître de nombreuses situations d’inconfort, d’indécence, voire d’insalubrité. Pour certains, ces quartiers connaissaient une forte paupérisation, avec des logements vieillissants et des infrastructures obsolètes, dans lesquels le commerce dépérissait au profit des grandes surfaces périphériques…
Les lois de décentralisation sont un tournant dans la prise de conscience qu’ont eu les élus de la nécessité de sauvegarder les centres-villes
PN : Cette époque correspond aux grandes lois de décentralisation. Qu’est-ce que cela a changé pour les centres-villes ?
JMN : Il s’agit, en effet, d’un tournant dans la prise de conscience qu’ont eu les élus de la nécessité de sauvegarder les centres-villes. La nécessité de réhabiliter l’habitat et de sauvegarder le patrimoine architectural de nos villes s’est imposée au cours des 30 dernières années. Les équipes municipales ont joué un rôle déterminant dans cette prise de conscience. Ce grand mouvement de réhabilitation visait également à redynamiser les villes historiques dans un contexte de forte concurrence entre les multiples centralités qui ont émergé dans une même agglomération. C’est un phénomène nouveau, dans la plupart des villes, il n’y a presque plus d’obligation à fréquenter son centre ville pour vivre au quotidien.
Il faut redonner aux habitants l’envie de s’installer durablement en centre-ville et d’y investir
PN : Quel est l’enjeu prioritaire en matière d’habitat ?
JMN : Il faut redonner aux habitants l’envie de s’installer durablement en centre-ville et d’y investir. L’un des enjeux est donc de faciliter l’accession à la propriété qui stabilise les pratiques urbaines. Il faut également encourager les opérations de rénovation, de restructuration et d’équipement des logements. Par exemple, on doit encourager l’efficacité énergétique et les matériaux durables dans des logements anciens, mais également la création de plateaux spacieux et modulables, l’installation d’ascenseurs et le développement d’espaces extérieurs privatifs ou communs pour rendre ces logements plus désirables. Les centres anciens, c’est déjà de l’habitat durable avec la mixité des usages, la densité, les mélanges de génération. On peut renforcer l’aspect développement durable par l’isolation, des jardins partagés, le verdissement par les habitants, de l’espace public de proximité.
Il existe également des outils règlementaires pour contraindre les propriétaires récalcitrants à réaliser des travaux grâce aux campagnes de ravalement et aux DUP de travaux
PN : Quels sont les outils à disposition des élus pour intervenir sur l’habitat privé ?
JMN : Les documents d’urbanisme permettent aujourd’hui de mieux cadrer le développement de l’habitat sur le plan géographique et en termes de programmation pour bien répondre à la demande. En matière d’habitat ancien, l’ANAH est l’interlocuteur indispensable pour mettre en place une politique d’accompagnement à la rénovation. Les dispositifs d’OPAH RU sont les plus adaptés aux problématiques des centres anciens car ils exigent une vision globale du devenir des centres-villes. Il existe également des outils règlementaires pour contraindre les propriétaires récalcitrants à réaliser des travaux grâce aux campagnes de ravalement et aux DUP de travaux. Enfin, la concession d’aménagement y compris de petite taille, est un outil opérationnel qui permet à la collectivité de définir un projet pour recomposer la ville et travailler à l’échelle des îlots au renouvellement de son centre. C’est pourquoi nous avons créé, il y a près de 10 ans, Urbanis Aménagement, qui est devenu le premier opérateur totalement spécialisé, au niveau national, dans la rénovation des îlots dégradés avec plus de 40 opérations. L’ANAH finance les déficits d’aménagement d’Ilots (procédure THIRORI) . Le CGET et l’ANAH ont lancé un Appel à Manifestation d’Intérêt en 2014 qui a connu une grande réceptivité. Le commerce fait partie intégrante des objectifs du programme. Aujourd’hui 45 centres-bourgs en France ont les moyens en ingénierie pour réfléchir à l’évolution de leur centralité et favoriser la « cristallisation des désirs des élus et des habitants », dans un projet global de redynamisation de leur centre bourg. La Caisse des Dépôts vient de lancer un programme d’appui visant les villes moyennes, notamment en ingénierie. Je sens bien que la question est redevenue à l’ordre du jour dans les agendas des nouveaux élus, locaux et régionaux.
PN : La périurbanisation, et le développement de la grande distribution, ont-ils porté un coup fatal aux centres-villes ?
JMN : Rien n’est jamais acquis, dans un sens ou dans un autre. On constate aujourd’hui une reconfiguration de la grande distribution vers du commerce de proximité. Il y a aussi un retour d’habitants plus diplômés et jeunes vers les centres-villes des grandes métropoles ont su réinvestir massivement dans les transports et l’espace public pour renouveler leur attractivité. Rien ne peut remplacer la richesse de notre patrimoine historique, architectural et paysagé qui constitue l’une des grandes forces de nos villes anciennes.
PN : Comment illustrer certains enjeux actuels des centres-villes pour vous ?
JMN : La périphérie a réussi à recréer certains centres commerciaux avec des cheminements piétons, des placettes, mais sans parvenir à recréer l’ambiance urbaine propres aux centres anciens. Pour autant, lorsque que l’on exporte en dehors du cœur de ville ses fonctions symboliques, commerciales, culturelles ou institutionnelles, c’est toute la ville qui est affaiblie. L’un des exemples frappant est l’explosion des multiplexes de cinéma en périphérie, qui a étudié avant la possibilité de se greffer au tissu urbain existant ? Or un complexe de cinéma crée une forme de centralité culturelle festive. Leur mise en périphérie est un appauvrissement global du centre
Il faut stopper la création de nouvelles surfaces commerciales périphériques qui plombent les centres-villes
PN : Quels sont les risques qui pèsent aujourd’hui sur les centres-villes ?
JMN : Il faut stopper la création de nouveaux centres commerciaux qui plombent les centres-villes. Il faut se rendre compte que chaque fois que l’on crée un supermarché de 2000 M2, on condamne 10 commerces de centre ville à terme. Les investisseurs tentent de convaincre les élus du contraire mais c’est seulement après 10 ans que l’on constate les effets dévastateurs de ces projets sur l’emploi et la centralité. Par ailleurs, je suis inquiet par le départ des jeunes professions libérales (activités de services, cabinet médicaux , dentaires, infirmière……) qui sont souvent induites par les exigences de la mise aux normes d’accessibilité handicapée des locaux professionnels même dans des immeubles anciens. Ceci risque de faire partir la majorité des professions médicales en périphérie. Ce phénomène porte actuellement un nouveau coup au dynamisme de nos centres-villes.
PN : Considérez-vous que les centres-villes sont adaptés aux enjeux futurs ?
JMN : Les centres-villes français sont, contrairement à ce que peuvent penser certains, plus modernes que jamais. Leur densité et leur organisation urbaine sont un modèle environnemental. Je suis d’accord avec l’idée que ce sont les premiers écoquartiers de la ville même si il faut adapter ses composantes et en particulier le logement aux défis climatique et énergétique.
PN : Merci Jean Marc NATALI et à très bientôt.
JMN : Merci à vous. J’espère que cet entretien aura permis de montrer toute l’importance qu’il convient d’accorder aux logements dans les politiques de redynamisation de cœurs de villes.
©crédit photo Midi Libre
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