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Rencontre avec Danièle PATIER, Chercheur associée au Laboratoire d’Economie sur les Transports et Vice-Présidente de «Centre-Ville en Mouvement»
(Interview réalisée le 9 février 2016) Nous vous proposons, cette semaine, une rencontre avec Danièle PATIER qui préside l’Observatoire de la Mobilité et de l’Energie créé par « Centre-Ville en Mouvement » en relation avec de nombreux experts issus de la sphère publique et privée. Son objectif est de sensibiliser les élus pour les accompagner dans la définition de leurs politiques locales, dans une démarche prenant en compte les trois volets du développement durable.
Patrick NICOLAS : Bonjour Danièle. Vous qui avez consacré votre carrière à la recherche, je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous une citation qui, sans nulle doute, vous fera réagir : “Des chercheurs qui cherchent, on en trouve. Des chercheurs qui trouvent, on en cherche.”
Danièle PATIER : Bonjour Patrick et merci pour cette entrée en matière ! Je connais, en effet, cette citation que l’on attribue semble-t-il au Général de Gaulle. Au-delà du trait d’humour, cette pensée traduit la difficulté, de plus en plus vigoureuse, à faire reconnaître nos travaux dans une société qui ne prend plus le temps de réfléchir avant d’agir. Notre réflexion sur la logistique urbaine n’est pas un obscur travail de recherche mais concerne, au contraire, la réalité quotidienne des français.
PN : Alors, comment expliquez-vous le désintérêt apparent des élus pour la question des marchandises ?
DP : Je crois qu’il y a une difficulté à percevoir les enjeux du transport de marchandises dans la ville qui s’explique par un manque d’information et de formation des élus, mais également des agents des collectivités territoriales. Il faut réparer cette aberration et sensibiliser les décideurs, ce que notre observatoire doit contribuer à faire.
PN : Quant on parle des centres-villes, la problématique du commerce est évoquée en priorité contrairement à la question des marchandises qui n’est jamais, ou presque, citée.
DP : Votre remarque est exacte mais, en même temps : qu’est-ce que serait le commerce sans un échange de biens matériels entre un fournisseur et un client, par le biais d’un intermédiaire ? La question des marchandises est bien plus centrale que nous ne l’imaginons. Dans notre société de consommation, les villes se sont organisées autour du commerce. Il n’y a qu’à regarder comment sont conçues nos périphéries urbaines. La difficulté du centre-ville est de n’avoir pas su adapter son organisation à ces enjeux.
PN : Quelles sont les conséquences de cette situation sur le centre-ville ?
DP : L’absence de prise en compte du volet marchandises dans les centres-villes est à l’origine de difficultés insondables de circulation et d’encombrement de la voirie, de pollution et de sécurité, de stationnement et de livraison… Chaque nouvelle implantation d’activité devrait faire l’objet d’une évaluation préalable des impacts sur le plan environnemental, en particulier les enjeux de circulation et de pollution. A défaut, on agit souvent sur les effets sans en comprendre les causes. Ce qui entraine des situations de plus en plus complexes à résoudre, avec un impact fort sur l’image et l’attractivité de la ville. Il faut inciter les élus à utiliser les multiples outils qu’ils ont à leur disposition (réglementation, guides techniques, formations…) pour leur permettre de décider en toute connaissance de cause, et en toute cohérence.
PN : Au-delà de cet enjeu, quelles sont les obligations qui pèsent sur les collectivités ?
DP : Les obligations règlementaires nationales et européennes sont très importantes et de plus en plus incontournables pour les élus. La prise en compte des marchandises dans leurs documents de planification et d’urbanisme est aujourd’hui obligatoire dans les SCOT, les PLU et les PDU. Les collectivités locales et territoriales sont également tenues de mesurer les impacts de la logistique en matière d’environnement et d’énergie dans le cadre des « Plans de Protection de l’Atmosphère », des « Plans régionaux de la qualité de l’Air », des « Schéma Régionaux Climat, Air, Energie » et autres « Plan Climat Energie Territorial »…
PN : À quelles conséquences s’exposent les élus ?
DP : A terme, des sanctions importantes pourraient être envisagées. Les élus locaux pourraient voir diminuer leurs prérogatives avec une substitution possible de l’Etat en cas de grave défaillance. Il faut bien comprendre que les engagements pris par la France lors des différents sommets environnementaux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre doivent impérativement se concrétiser sur les territoires, sauf à risquer d’importantes sanctions internationales. Le transport de marchandise est à l’origine d’une part importante des émissions liées à la circulation : 30% des émissions de CO2 et plus de 40% des particules qui sont reconnues aujourd’hui comme un véritable danger pour la santé. On comprend tout de suite les enjeux !
PN : Le caractère hypothétique et lointain de ces sanctions est-il suffisant pour convaincre les élus ?
DP : La sanction ne devrait pas être le moteur de l’action. Les enjeux environnementaux sont évidents et, à plus court terme, les enjeux en termes d’image et d’attractivité pour les centres-villes sont essentiels. Chaque année, des dizaines de sondages s’évertuent à classer les villes de France en fonction de la qualité de leur cadre de vie. Est-ce une coïncidence si des villes comme Bordeaux, Toulouse ou Montpellier, qui ont mis en œuvre une politique spécifique en la matière, caracolent en tête de ces sondages ? Les habitants et les usagers de ces centres-villes plébiscitent la nouvelle organisation de la voirie privilégiant l’espace public, la possibilité d’accéder facilement en ville grâce à des transports en commun efficaces et de circuler dans un environnement apaisé.
PN : Comment les collectivités doivent-elle s’y prendre ?
DP : Elles doivent d’abord réaliser des diagnostics sur les flux de marchandises en ville pour évaluer la situation et simuler leur évolution en fonction des grands projets de développement de la ville. C’est-à-dire pour anticiper les conflits d’usage de l’espace public. Dans le cadre des observatoires, nous allons mettre en place un questionnaire pour les aider à faire un premier bilan en proposant un « test de maturité » afin d’évaluer le niveau de connaissance et d’actions menées en la matière. Ensuite la mise en place des actions peut être envisagée.
PN : Concernant le stationnement, des actions peuvent-elles être mises en place pour améliorer son efficacité ?
DP : Il y a, par exemple, beaucoup à faire pour améliorer la disponibilité des places en centre-ville en travaillant sur les aires de livraison. A Barcelone, la commune a organisé un partage spatio-temporel de la voirie en autorisant le stationnement à différents usagers selon les heures de la journée (résidents, livreurs, touristes). Cela permet d’optimiser les emplacements réservés pour mieux coller aux besoins de chacun et réduire la congestion.
PN : Avec la multiplication des supérettes, les effets de congestion ne vont-ils pas être aggravés ?
DP : Des collectivités ont ouvert la possibilité d’effectuer des livraisons en « horaire décalé » : tard le soir ou au petit matin afin d’éviter ces effets de congestion et permettre aux transporteurs de rentabiliser leurs tournées et de travailler dans la sérénité. La multiplication des supérettes en centre-ville impose d’engager un dialogue constructif avec les enseignes et les entreprises logistiques pour trouver des solutions gagnant-gagnant.
PN : L’éloignement des centres-villes des plateformes logistiques et des Marchés d’Intérêts Nationaux n’est-elle pas contradictoire avec l’objectif d’une meilleure prise en compte des marchandises dans la ville ?
DP : En effet, il y a un impératif pour les collectivités de rechercher des emplacements pour réintégrer ces activités en centre-ville car l’éloignement des bases logistiques contribue à un accroissement des distances parcourues à vide par les camions et à une impossibilité d’optimiser les tournées en centre ville. A Lyon, un partenariat entre un concessionnaire de parking et un transporteur a permis de créer une base logistique dans un parking en plein centre-ville. Le transporteur peut ainsi rallier le centre ville grâce à des véhicules gros porteurs hybrides puis réorganiser son circuit de livraison pour desservir les commerces en véhicule électrique. En mutualisant le service avec une grande enseigne du e-commerce, la nouvelle organisation réduit considérablement le nombre de véhicules et les distances qu’ils parcourent, donc la congestion et la pollution
PN : Comment, en conclusion, résumer les enjeux ?
DP : Les collectivités se doivent de mettre en place une réflexion afin d’atteindre un système plus vertueux sur les trois volets du développement durable d’un point de vue environnemental, social et économique. Ce Système doit répondre aux besoins des commerces, des activités mais aussi des travailleurs de la logistique.
PN : Merci Danièle pour toutes ces informations extrêmement riches. Nous donnons rendez-vous à nos adhérents pour poser directement leurs questions : vendredi 12 février prochain entre 10h et 11h lors d’une discussion en direct avec vous sur le chat de la plateforme du réseau.
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